Les hommes de Lobsang s'élançaient à travers le corridor du Wakhan, une étroite bande de vallées alpines glaciale et perchée, enserrée par des montagnes culminant à plus de sept mille mètres.
La vallée s'étendait depuis la province du Badakhshan en suivant les sources de l'Amou-Daria puis le fleuve Wakhan jusqu'à Sarhad-e-Borghil. Les deux rivières prennaient leurs sources dans les montagnes du Pamir. La marche était épuisante, le sol instable et les pentes escarpées rendaient le parcours difficile. “Ne relâchez pas votre attention. Chaque pas nous rapproche du but,” rappelait Lobsang, le vent mordant de l'Hindu Kuch soufflant à travers ses mots.
Dans leurs villages juchés sur les flancs des montagnes, les Wakhis, ignoraient le sunnisme dominant le reste de l’Afghanistan. De confession ismaélienne, les Wakhis vénéraient l’Aga Khan, le chef spirituel des ismaéliens nizârites.
De confession ismaélienne, les Wakhis vénéraient l’Aga Khan
Dans la vallée baignée par la rivière Wakhan, les hameaux s'éparpillaient le long des flots verdoyants, nichés entre les hautes herbes, les peupliers et les champs de blé, le tout surplombé par les majestueuses chaînes du Pamir, un enchaînement de vallées glaciaires, de steppes et de plateaux balayés par les vents.
De passe en passe, les chemins arides traversaient des maquis odorants et des dunes plantées de graminées, des prairies rases et des plaines de cailloux, offrant un paysage à la fois austère et envoûtant.
La troupe atteignit non sans difficulté le campement Wakhis de Baza'i Gonbad à la jonction du grand et du petit Pamir. Un campement composé d'une quinzaine de yourtes dressées à distance les unes des autres, près d'un petit torrent dans un repli du terrain. Le reste était aride, la végétation rase laissant passer la poussière, le vent mordant les joues desséchées.
L'Aga Khan, en tant que plus haute autorité spirituelle des Wakhis, était représenté localement par les Shahs. Traditionnellement, ces derniers résidaient en contrebas de la vallée, sur les rives de l'Amou-Daria, au village de Qala Panja, dominé par la puissante famille Sayed. Ethan Sayed, qui dirigeait ce campement, avait cependant choisi de quitter la vallée pour tenter sa chance dans la vallée de l'Hunza au Pakistan.
Il avait promis de revenir après un ou deux hiver, pourtant plus de cinq années s'étaient déjà écoulées depuis son départ. Au camp, personne ne semblait avoir le charisme nécessaire pour lui succéder, et en réalité, personne ne semblait en avoir l'ambition.