Depuis les hauteurs, Lobsang laissait son regard s'évader sur l'immensité du désert, son cœur empreint de nostalgie pour Kashgar sa ville natale, dont il assistait impuissant à la destruction. Alors que le ciel se parait de nuances orangées, Kashgar, ville oasis à la croisée de l'Orient et de l'Occident, était le théâtre de tensions de plus en plus vives dues aux attaques continues des autorités chinoises envers la langue et la culture ouïgoures.
Dans la ville détruite au deux tiers, l'âme ouïghoure persistait, dans quelques ruelles entourant la mosquée Id Kah. Dans le silence étouffé de la vieille ville, un véritable dédale se dessinait à travers ses venelles sinueuses, interrompues par l'ombre menaçante des engins de démolition.
L'âme ouïghoure persistait, dans quelques ruelles entourant la mosquée Id Kah
Là, en lieu et place d’élégantes demeures aux façades en bois sculptées, une vaste trouée se dessinait, les ruines des demeures fracassées donnaient le sentiment de progresser dans une ville ravagée par un séisme. Ces destructions orchestrées, paradoxalement, sous prétexte de prévention sismique, visaient à remplacer les maisons en pisé ou en brique par des édifices tous semblables. La vieille ville se transformait peu à peu en musée à ciel ouvert avec l’instauration d’un droit d’entrée, un folklore ethnique destiné à attirer le touriste chinois.
Au loin, les silhouettes d’immeubles d'une vingtaine d'étages se dressaient contre la nuit, illuminés par les lueurs de la nouvelle ville qui progressait en empiétant sur les anciens quartiers. Cette modernisation à coups de tours de verre et d’immeuble en béton menaçait d’engloutir à terme l’ensemble de la ville.
Même la majestueuse mosquée Id Kah, avec son portail jaune imposant, semblait recroquevillée, perdue au fond de la grande place centrale. Des informateurs surveillaient les mouvements des fidèles et notaient l'identité de chaque croyant. Les papiers de voyage de tous les Ouïghours avaient été saisis et leur identité, consignée. Ces derniers vivaient sous la menace du contrôle permanent, à chaque coin de rue surgissaient des postes de police, édifiés à quelques mètres à peine les uns des autres.