L'esprit de Lobsang poursuivait sa course, froide et précise. Devant lui, les voies du temps s'ouvraient, révélant sur ce monde un faisceau d'avenirs probables et une frange d'inconnu qui s'étirait au-delà de sa compréhension. Sans le secours du rêve, ses pouvoirs de pleine conscience lui dévoilaient ces perspectives, lui offrant un aperçu des possibles.
Il s’éleva dans le pouvoir de la perception. Il sentit qu’il était plus haut, trouva une prise précaire,
Brusquement, comme s’il venait de découvrir une clé nécessaire, il s’éleva dans le pouvoir de la perception. Il sentit qu’il était plus haut, trouva une prise précaire, regarda autour de lui. Autour de lui, irradiaient des chemins allant dans toutes les directions.
Il se souvenait d'un mouchoir de gaze flottant dans le vent. Maintenant, il percevait l'avenir de la même manière : comme une surface ondulante, éphémère et insaisissable.
Il ressentait la chaleur et le froid de probabilités innombrables. Il connaissait des noms, des lieux, éprouvait des émotions diverses, recevait des informations de sources multiples et inexplorées. Tout cela formait un spectre de possibilités s'étendant du plus lointain passé au plus lointain avenir, du plus probable au plus improbable. Il voyait sa propre mort en d’innombrables versions, un empire naissant, un nouveau monde, des multitudes d’êtres dont il percevait l’existence sans pouvoir les dénombrer.
L'effroi s'empara de Lobsang à l'idée de vivre le reste de son existence avec cet esprit constamment tâtonnant entre les avenirs possibles. Pourtant, il reconnaissait que c'était une voie ouverte. Son champ de vision semblait s'étendre à l'infini, puis la sensation s'évanouit aussi rapidement qu'elle était apparue. "Namgar, j’ai tué les sens, tué mes souvenirs, je me suis évadé de mon être de mille façons. J’ai été bête, charogne, pierre, bois, eau. J'étais parvenu à éteindre tous mes désirs, à concentrer toute mon énergie pour élargir le champ de ma perception," dit-il, à la fois inquiet et rassuré.
Sa conscience avait été retournée, éclairée de manière terrifiante. Il regarda autour de lui. Namgar tenta de l’apaiser : “La poussière d'Éther, il y en a partout dans les grottes de Bamiyan. Dans l’air, dans le sol. C’est la drogue des Bodhisattvas, de ceux qui sont dignes d’atteindre la pleine conscience.” La voix de Lobsang se fit plus basse : “Un poison… subtil, insidieux, qui ne tue pas tant qu'on continue de le prendre. On ne peut quitter Bamiyan sans emporter une partie de Bamiyan avec soi.”
“La poussière d'Éther transforme quiconque en inhale autant. Cette transformation a touché ma conscience. Je peux la voir. Elle n’est plus reléguée dans mon subconscient, là où je pouvais l’ignorer.”
Namgar percevait la folie dans la voix de son maître et ne savait plus quoi faire. “Je dois vous révéler ce qu’était mon rêve éveillé,” reprit Lobsang, plongeant plus profondément dans ses révélations.